L’assimilation des sociétés de droit étranger par le juge de l’impôt français : un pouvoir d’analyse au cas par cas
Dans un contexte où les structures juridiques étrangères sont de plus en plus utilisées pour organiser les activités économiques ou patrimoniales transnationales, la question de leur traitement fiscal en France revêt une importance particulière. Le juge de l’impôt dispose de la faculté d’assimiler certaines sociétés de droit étranger à des sociétés commerciales françaises, afin de leur appliquer les règles fiscales correspondantes. Cette assimilation n’est ni automatique ni purement formelle : elle repose sur une analyse de la nature juridique et du fonctionnement effectif de la société étrangère concernée.
Plusieurs décisions de jurisprudence illustrent cette approche, notamment concernant les LLC, les Anstalt ou encore les private limited by shares.
L'arrêt Artémis (CE, 24 novembre 2014, n°363556)
Dans cette affaire, le Conseil d’État a rappelé les critères que l’administration fiscale et le juge peuvent utiliser pour assimiler une entité étrangère à une société française.
La société Artémis, établie à Gibraltar sous la forme d’une private limited by shares, contestait sa qualification d’associée dans une société française au sens de l’article 8 du CGI. Le Conseil d’État a estimé que la forme juridique étrangère n’était pas seule déterminante : il convient d’examiner les caractéristiques réelles de l’entité (notamment, son autonomie patrimoniale, l’existence d’un capital social, la responsabilité limitée des membres, la distribution des bénéfices…).
Conclusion : Lorsqu’une société étrangère présente des caractéristiques proches de celles des sociétés françaises à objet commercial, elle peut être assimilée à une société passible de l’impôt sur les sociétés en France.
TA de Rennes, 18 octobre 2023, n°2104358
Le Tribunal administratif de Rennes a appliqué cette même logique dans une affaire impliquant une LLC (Limited Liability Company) américaine.
Le contribuable affirmait que la LLC devait être traitée comme une société de personnes (translucide) et donc non imposable en France en tant que telle. Le juge a au contraire retenu que la LLC était dotée d’une personnalité morale distincte, d’une autonomie financière et d’une responsabilité limitée de ses membres, ce qui justifiait son assimilation à une société commerciale française soumise à l’impôt sur les sociétés.
À retenir : Le statut fiscal aux États-Unis ou la possibilité d’une option pour la transparence n’ont pas empêché le juge français de retenir une approche économique et fonctionnelle, privilégiant la réalité de la structure.
CAA de Marseille, 5 octobre 2023, n°21MA02821 (Sté Joy Events Ltd)
Dans cette décision, la Cour administrative d’appel de Marseille a eu à statuer sur une société britannique de type private limited by shares.
L’administration fiscale avait requalifié cette société en entité assimilable à une société de capitaux française, ce qui a été confirmé par la juridiction. Les juges ont insisté sur le fait que, bien que constituée à l’étranger, la société présentait toutes les caractéristiques d’une société commerciale au sens du droit fiscal français.
Point important : L’assimilation ne dépend pas uniquement de la loi du siège de la société, mais aussi de son fonctionnement effectif et de ses effets juridiques et économiques.
CAA de Marseille, 7 avril 2009 - L’affaire des Anstalt
La structure Anstalt (souvent utilisée au Liechtenstein) a également fait l’objet d’une assimilation fiscale par la justice française.
La Cour administrative d’appel de Marseille a qualifié l’Anstalt concernée de véritable société commerciale au regard de son autonomie patrimoniale, de l’organisation de ses bénéfices, et de sa direction. Cette assimilation a conduit à l’imposition des revenus en France, malgré l’apparente opacité de la structure.
Remarque : Les structures comme l’Anstalt, souvent perçues comme « patrimoniales » ou de gestion, peuvent en réalité être considérées comme de véritables entités commerciales dès lors qu’elles agissent comme telles.
Enseignements à retenir
L’analyse jurisprudentielle permet de dégager plusieurs principes :
Le juge de l’impôt ne s’arrête pas à la dénomination ou à la forme juridique étrangère ;
Il opère une comparaison fonctionnelle avec les catégories juridiques françaises (SAS, SARL, SA…) ;
Les critères déterminants incluent notamment :
L’existence d’un capital social,
La personnalité morale distincte,
L’autonomie de gestion,
La responsabilité limitée des membres,
La distribution de bénéfices.
L’objectif de cette assimilation est d’éviter que des structures étrangères soient utilisées pour contourner les règles fiscales françaises. Cette approche vise à assurer une imposition équitable, fondée sur la substance économique plutôt que sur la forme juridique.
Conclusion
L’assimilation des sociétés de droit étranger à des sociétés commerciales françaises constitue une arme juridique efficace au service de la cohérence fiscale. Le juge de l’impôt s’arroge le droit d’interpréter, au cas par cas, la réalité économique des entités étrangères. Les LLC, Anstalt ou Private Limited by Shares peuvent ainsi se voir appliquer les règles françaises de l’impôt sur les sociétés, si leur fonctionnement le justifie.
Face à cette complexité, une analyse préalable rigoureuse de chaque structure étrangère est essentielle, tant en matière de montage que de contentieux fiscal.